Pariétales

 

 

L’art pariétal nous fascine !

 

 

L’art pariétal nous fascine, comme il n’aurait pas pu le faire ne serait-ce qu’il y a quelques siècles en arrière. La grotte de Rouffignac est connue depuis au moins le XVème siècle et ses fresques somptueuses sont restées visibles de tous ceux qui venaient s’y aventurer (dans sa Cosmographie universelle publiée en 1575, François de Belleforest évoque « des painctures en plusieurs endroits et la trace ou marques de pas de plusieurs sortes de bestes grandes et petites ») ; mais ces dessins qui évoquent à nos yeux Matisse, Picasso ou l’art zen, ne pouvaient être vraiment vus avant le XXème siècle. On ne voyait en eux que diableries ou enfantillages que l’on pouvait sans vergogne recouvrir de graffitis (ils abondent dans toute la première partie de la grotte).

L’art pariétal, donc, inventé à la toute fin du XIXème siècle et qui constitue notre deuxième art contemporain, fascine aussi bien le touriste, le profane, que le scientifique devenu spécialiste ès-cavités ornées et que l’on sent constamment menacé par une sorte d’illumination esthétique (l’exaltation de certains guides rencontrés en Dordogne le montre assez).

L’art pariétal fascine peut-être d’abord par son ancienneté, désormais mesurable, et cette sensation qu’il nous donne d’être en relation avec les origines de l’art et de l’homme ;

il fascine à cause du lieu même de la grotte (ce pourquoi il est indispensable d’aller dans de vraies grottes et non seulement dans leurs répliques), avec sa géologie, son atmosphère, ses formes propres ;

il fascine pour son immédiateté et sa lisibilité déconcertantes – car, si les motifs abstraits abondent, c’est un jeu d’enfant que de reconnaître ici un cheval, là un mammouth, plus loin un bouquetin, avec une précision dans les détails naturalistes meilleure que celle des représentations des peintres de la Renaissance, qui ne peignaient guère qu’à partir d’animaux empaillés ;

il fascine parce que cette immédiateté se double d’un mystère insoluble quant à la signification qu’il revêtait pour nos ancêtres, mais aussi parce que ces images nous apparaissent d’une beauté indubitable, que la complexité technique mise en œuvre rend possible mais n’explique pas ;

il fascine par son universalité, qui fait apparaître de façon stupéfiante l’unité des cultures humaines : partout où il y eut des hommes, les grottes furent ornées, et les paysages entiers  vraisemblablement balisés, comme le fut par exemple la vallée de Coas au Portugal (dix-sept kilomètres de gravures datant du Paléolithique supérieur), avec des variations de styles et de bestiaires mais peu ou prou les mêmes techniques, les mêmes motifs, la même obsession ;

l’art pariétal fascine pour l’impression d’harmonie et de paix qu’on éprouve à son contact : si Picasso, en mêlant dans le chaos sombre de « Guernica » les figures du taureau et du cheval à celles d’êtres humains, semble en reprendre certains principes, son tableau en dit surtout long sur ce qui sépare notre histoire marquée par dix-mille ans de violence, de tous les millénaires  antérieurs au néolithique qui n’ont laissé ni charniers remplis de femmes et d’enfants éventrés, ni tombes fastueuses destinées à de riches dignitaires – et si un archéologue devait demain me prouver que les Magdaléniens se massacraient aussi férocement que leurs successeurs, il n’en resterait pas moins qu’on ne trouve aucune trace d’une telle violence dans l’art qu’ils nous ont laissé ;

il fascine enfin parce que sa découverte est sans fin, parce qu’on sent bien qu’aucun système global ne saurait rendre compte de l’unicité de chaque grotte et que l’on peut à tout moment découvrir une nouvelle grotte qui fera s’effondrer toutes les théories et les datations que l’on avait élaborées ;

il fascine pour tous ces signes que l’on sent tendus vers ?…

 

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