Une caverne ornée de rêves
Ce n’est pas l’artiste moderne qui est primitif,
c’est le premier homme qui était un artiste.
Barnett Newman.
1.
J’ai en moi une caverne
ornée de tous les rêves
de l’espèce et de l’ailleurs.
L’air y entre par une porte
en sort par une autre porte
il y circule encore bien
l’état de conservation des rêves
y demeure satisfaisant
à ce jour
mais lorsque l’air s’arrêtera
et que la grotte s’affaissera
les rêves s’effriteront
laissant pour seules traces
mes os dispersés
ces lignes gravées
à même la paroi du rêve.
2.
« Cette année novembre vient en juillet. Les bêtes meurent ou s’en vont − il nous faut partir aussi. »
Homo neandertalensis a disparu, Sapiens, son frère l’artiste, a survécu. Se pourrait-il que ces talismans qu’il gravait et peignait au fond des grottes y aient été pour quelque chose ? Osons reformuler une dernière fois l’hypothèse : l’art pariétal visait à rééquilibrer la balance entre la raison et le cœur, le masculin triomphant et le féminin bafoué, la nature et la culture − et ces rites colorés furent peut-être si efficaces qu’il parvint à le passer, cet hiver interminable…
Vingt-mille ans plus tard, l’homme-artiste, presque inchangé, rouvre ces grottes où il recherche ce qui lui est le plus nécessaire.
Vingt-mille ans plus tard, de folles saisons s’annoncent. Migrer sera difficile sur cette terre où les barbelés entravent la fuite des pauvres gens. Défait d’avance et sans forces, un homme traceur de lignes murmure pour lui-même :
3.
Je cherche ici un chemin en grattant
avec la plume cassée d’un corbeau
j’écris du fond de ma grotte
dans le froid d’une saison
instable et sans insouciance
sapiens, je ne sais plus rien
ne sais plus les rites, ne sais plus les chants
n’ai pour talismans que des souvenirs
des éblouissements trop rapides
n’ai pour rallumer le feu
qu’une pauvre braise
— parfois le dégoût me vient
devant ma plume inutile
et tant de gâchis
me dis qu’il faudrait
me taire ou bien faire
semblant de chanter.
L’été sera court. Bientôt
on regardera la neige
tomber sur les tombes. On partagera
la stupeur des bêtes.
4.
Pour l’heure et comme on ne peut
se résoudre à ça
par bravade ou par instinct il faut
retourner fouiller
en la fosse de nos crânes
chercher dans la grotte
de nouveaux Trésors
une autre façon d’habiter
d’autres rites et d’autres danses
pour renouer les liens brisés
d’autres talismans —
pour l’heure il faut repartir.
Dordogne & Savoie, 2012-2021