Pariétales

 

 

Le Faon aux oiseaux ou La trivialité des moyens par lesquels l’esprit vint à Sapiens…

 

par Jérôme BOUCHARD

 

 

Un jour, comme j’étais là à chercher mes cailloux, je résolus soudain le mystère des peintures préhistoriques. Il faut scruter un champ labouré à la recherche de jolis cailloux de toutes sortes, fossiles, minerai de fer, silex, et surtout petits blocs de calcaire aux formes étranges évoquant des visages ou des animaux. L’habitude de balayer des yeux la surface du sol pour les y reconnaître fait naitre l’illusion, lorsqu’ils apparaissent dans le champ visuel, qu’ils attirent eux-mêmes le regard, de sorte qu’ensuite, les observer très attentivement devient une affaire très importante, très personnelle, empreinte d’une certaine solennité sans être nécessairement dénuée d’humour. Si le caillou ressemble à un visage ou une bête, lui ajouter les moustaches ou l’œil qui s’imposent me donne le sentiment d’avoir fait ce qu’il y avait à faire, me remplit d’aise, comme si j’avais un nouvel ami, comme si c’était un jour extraordinairement faste.

Ces cailloux remontent, dit-on, des profondeurs de la terre, voyageant vers nous aussi lentement que possible depuis la naissance du monde. En allant peindre sous terre, nous nous trouvions donc physiquement en présence même du passé. Sous terre le temps est comme suspendu et tout reste miraculeusement en l’état des millénaires durant. À la surface de la terre le passé nous hante et nous échappe à jamais, de la façon parfois la plus douloureuse qui soit, tandis que dans les cavernes il semble là, toujours déjà là et jamais révolu, à nous attendre. De là cette curiosité bien particulière pour l’art préhistorique, comme celle d’un enfant face aux mystères de la procréation.

Une bonne occasion de laisser libre cours à ce tropisme se trouve en observant de près le “Faon aux Oiseaux”. Il s’agit d’une sculpture magdalénienne de petite taille qui orne l’extrémité d’un propulseur, et dans laquelle certain préhistorien vit un faon donnant naissance par l’anus à un oiseau. Il y avait à mes yeux dans une telle confusion des générations, des genres et des espèces, la trame d’un mythe des origines très sulfureux : Cro-Magnon, conscient de sa différence d’avec les animaux, en infériorité numérique face à eux, se voit comme une anomalie dans le paysage et l’explique par un acte contre-nature. Un autre préhistorien vit quant à lui un, voire deux autres oiseaux picorer le placenta…

Ce faon est ainsi l’un des rares objets préhistoriques contenant de la façon la plus condensée, une histoire. Une histoire d’avant l’écriture, tenue serrée précieusement dans la matière osseuse comme dans un phylactère, propulsée jusqu’à nous, dont seules des bribes infimes nous parviennent, et dont il nous appartient d’inventer la teneur exacte.

Cette venue au monde est accompagnée par un tiers, un oiseau, ce qui donne matière à fable : il est mêlé d’une façon ou d’une autre à cet événement situé dans le concert des espèces dont la condition humaine nous tient légèrement écartés.

La scène est cependant empreinte d’émotion, d’humour et de tendresse. Elle pourrait faire suite à une mésaventure dont elle serait l’heureux dénouement. L’oiseau serait là pour récupérer quelque chose avalée par le faon. Or, que faut-il avoir avalé pour chier un oiseau ? Un œuf. Le jeune faon a donc gobé un œuf tout rond, qui lui est tombé dans le bec tandis qu’il baillait aux corneilles, et l’oiseau vient accueillir sa progéniture.

 

Poitiers, juillet 2017

 

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