PREMIERS ENVOLS
Pour les poètes, c’est toujours la naissance du monde.
Henri Michaux
Un bruit de chute sur la tôle
ça y est
le premier a sauté
sous les regards interloqués de
trois autres petites boules grises
qui imitent à la perfection
les cris, les frétillements de queue
et les génuflexions des adultes.
Le précurseur, le maladroit
(les grandes découvertes ne sont-elles pas
toujours involontaires ?)
glisse jusqu’à la gouttière
les parents alternativement
le nourrissent et l’encouragent
(voici la mère au plumage charbonneux
qui rapporte une chenille verte
puis le père
plumage de piano laqué, queue orange
qui sautille et l’appelle).
Non loin de là on entend
le cri rauque de jeunes pies
partout des appels
des chutes des envols
les mêmes glissades, les mêmes menaces
— mais cet envol, voyez-vous,
est le premier envol du premier rougequeue
du premier nid construit ici
dans l’affaissement des lattes de l’avant-toit
autant dire que c’est
le premier matin du monde.
Puis soudain deux autres petits
font le grand saut et s’envolent
jusqu’au toit de la grange
et celui qui restait au bord de la gouttière
les suit.
Partout des cris
(tous les chats du village sont maintenant alertés)
un seul reste au nid, qui n’ose pas encore et lance
ses appels sporadiques
tsi-tek secs et claquements
étrange métronome qui rythme les envols.
Quatre boules de plumes sont ainsi lancées
en l’immensité
les survivants partiront en novembre
voyageront en Afrique
reparaîtront en mars
(comme on les guettera alors
dans l’impatience du printemps)
et ces quatre boules de plumes
qui sont
l’immensité
avide d’insectes
d’été
d’espace
et qui disent
notre avidité commune
agrandissent notre espace
rouvrent nos terriers
nous jettent dans le vaste.
Désormais quand on marchera alentour
quand par la fenêtre ouverte on entendra
ce bruit de papier froissé
le monde aura gagné
en bienveillance
en connivence.
D’avoir été convié à ce moment sacré
fait le cœur plus large
et d’un coup d’épaule envoie battre
les portes vertes de l’été.
7 juillet 2012