Vigie, juillet 2012

 

 

 

 

 

PREMIERS ENVOLS

 

 

 

Pour les poètes, c’est toujours la naissance du monde.

Henri Michaux

 

 

Un bruit de chute sur la tôle 

ça y est

le premier a sauté

sous les regards interloqués de 

trois autres petites boules grises 

qui imitent à la perfection 

les cris, les frétillements de queue 

et les génuflexions des adultes. 

 

Le précurseur, le maladroit 

(les grandes découvertes ne sont-elles pas 

toujours involontaires ?) 

glisse jusqu’à la gouttière 

les parents alternativement 

le nourrissent et l’encouragent 

(voici la mère au plumage charbonneux 

qui rapporte une chenille verte

puis le père 

plumage de piano laqué, queue orange 

qui sautille et l’appelle). 

 

Non loin de là on entend 

le cri rauque de jeunes pies 

partout des appels

des chutes des envols 

les mêmes glissades, les mêmes menaces 

— mais cet envol, voyez-vous, 

est le premier envol du premier rougequeue

du premier nid construit ici 

dans l’affaissement des lattes de l’avant-toit 

autant dire que c’est 

le premier matin du monde.

 

Puis soudain deux autres petits

font le grand saut et s’envolent  

jusqu’au toit de la grange

et celui qui restait au bord de la gouttière 

les suit. 

 

Partout des cris 

(tous les chats du village sont maintenant alertés) 

un seul reste au nid, qui n’ose pas encore et lance

ses appels sporadiques 

tsi-tek secs et claquements

étrange métronome qui rythme les envols. 

 

Quatre boules de plumes sont ainsi lancées 

en l’immensité 

les survivants partiront en novembre 

voyageront en Afrique 

reparaîtront en mars 

(comme on les guettera alors 

dans l’impatience du printemps) 

et ces quatre boules de plumes 

qui sont 

l’immensité 

avide d’insectes

d’été

d’espace 

et qui disent 

notre avidité commune 

agrandissent notre espace 

rouvrent nos terriers

nous jettent dans le vaste.

 

Désormais quand on marchera alentour 

quand par la fenêtre ouverte on entendra 

ce bruit de papier froissé

le monde aura gagné 

en bienveillance

en connivence. 

 

D’avoir été convié à ce moment sacré 

fait le cœur plus large

et d’un coup d’épaule envoie battre 

les portes vertes de l’été. 

 

7 juillet 2012 

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