LE TEMPS RETROUVÉ
On the seashore of endless worlds, children play.
Tagore
Le vieillard rejoint
l’enfant qui joue au bord de la plage
l’enfant qui joue au bord de la plage
ne voit pas le vieillard
la voix d’une fillette
résonne dans les aigus
« nous jouerons ensemble nous allons
bien
nous amuser
nous allons
nous amuser »
l’écho de ces voix d’enfants
enfant
est-ce que tu les entends ?
c’est à toi que je parle
enfant
est-ce que tu m’entends ?
dit l’homme en grand silence
est-ce que tu m’entends ?
écrit-il à voix basse et déjà sanglotant
je t’entendais si bien déjà c’était toi
qui écrivais
moi qui tenais ta plume
ou moi qui tiens ta plume
est-ce que tu me vois ?
est-ce que tu me vois ?
et le vieillard aussi
se penche sur mon épaule
et murmure
est-ce que tu me vois ?
nos pères
effacés comme
les traces de nos pas sur le sable
est-ce que tu les revois ?
est-ce que tu nous revois ?
je suis toi je te suis
avec quelques années d’avance
lorsque tu seras seul
nous nous retrouverons
ici-même en la
tombe vive du livre
tous les fils
emmêlés comme d’un cerf-volant
(celui-là même, souviens-toi,
dont la queue s’accrocha
aux branches du vieux prunier)
nous nous retrouverons là où tu jouais
pataugeant sur la plage
t’enhardissant malgré la houle —
un hélicoptère
restait suspendu dans le ciel
est-ce que tu le revois ?
est-ce que tu nous revois ?
tu glisses aussi emporté à ton tour
tu n’es déjà plus cet enfant
tu es moi
je suis-je sais je m’efface
je bafouille
je me perds
je joue sur la plage à ta place
sur quelle rive oubliée je
nous rejoins et je
chute
je nous perds en cette
chute
les traces
brouillées
le temps perdu
retrouvé
le temps
d’un dernier
souffle
coupé
comme d’un film
coupé et
— plus d’image
10 juillet 2012