Vigie, juillet 2012

 

 

 

LE TEMPS RETROUVÉ

 

 

On the seashore of endless worlds, children play.

 Tagore

 

 

Le vieillard rejoint 

l’enfant qui joue au bord de la plage

l’enfant qui joue au bord de la plage

ne voit pas le vieillard

la voix d’une fillette

résonne dans les aigus

« nous jouerons ensemble nous allons

bien 

nous amuser 

nous allons

nous amuser »

l’écho de ces voix d’enfants

enfant

est-ce que tu les entends ?

c’est à toi que je parle

enfant

est-ce que tu m’entends ?

dit l’homme en grand silence

est-ce que tu m’entends ?

écrit-il à voix basse et déjà sanglotant

je t’entendais si bien déjà c’était toi 

qui écrivais

moi qui tenais ta plume

ou moi qui tiens ta plume

est-ce que tu me vois ?

est-ce que tu me vois ?

et le vieillard aussi 

se penche sur mon épaule

et murmure

est-ce que tu me vois ?

nos pères

effacés comme 

les traces de nos pas sur le sable

est-ce que tu les revois ?

est-ce que tu nous revois ?

je suis toi je te suis

avec quelques années d’avance

lorsque tu seras seul

nous nous retrouverons 

ici-même en la

tombe vive du livre

tous les fils

emmêlés comme d’un cerf-volant

(celui-là même, souviens-toi,

dont la queue s’accrocha

aux branches du vieux prunier)

nous nous retrouverons là où tu jouais 

pataugeant sur la plage 

t’enhardissant malgré la houle —

un hélicoptère

restait suspendu dans le ciel

est-ce que tu le revois ? 

est-ce que tu nous revois ?

tu glisses aussi emporté à ton tour

tu n’es déjà plus cet enfant

tu es moi

je suis-je sais je m’efface

je bafouille

je me perds

je joue sur la plage à ta place

sur quelle rive oubliée je

nous rejoins et je

chute

je nous perds en cette

chute

les traces

brouillées

le temps perdu 

retrouvé

le temps 

d’un dernier

souffle

coupé

comme d’un film

coupé et

 

— plus d’image

 

 

10 juillet 2012

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