Vigie, juillet 2012

 

 

 

 

LA GUYANE

 

 

 

« La Guyane est à cinq minutes d’ici », dit l’enfant en montrant le chemin du bois.

 

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Tapi dans les hautes herbes, le renard attend pour bondir que nous soyons sur lui. On sursaute, on pousse un cri, puis on suit des yeux sa course à travers champ.

 

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Cathédrale forestière. Vitraux verts des feuillages. Une grenouille se faufile dans le creux d’une souche en forme de bénitier. Un écureuil qui se sait repéré glisse de l’autre côté du tronc. 

 

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Caché dans ce clair-obscur on pourrait se croire protégé. La nuée des moustiques rappelle à la réalité. On s’offre à elle en grimaçant un peu.  

 

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On regarde de haut les sapins gigantesques de la mousse. 

 

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La forêt aussi nous regarde passer, arbrisseaux mobiles parmi nos frères fixes. 

 

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La lumière qui coule entre les pierres murmure quelque chose, sans doute, murmure…

 

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Il est indubitable que tu étais attendu et que ta venue en ce lieu est un bienfait  — susurrent une fois encore les moustiques. 

 

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La Guyane est cette combe où le torrent bouillonne à l’écart des chemins. On glisse sur la terre meuble, on s’assoit au bord du torrent, assourdis, silencieux. 

 

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L’enfant lance une pierre. On attend que s’ouvre un poème. 

 

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Cette chenille minuscule qui arpente ridiculement la couverture du carnet, elle cherche aussi la porte ? 

 

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Accepter sans sourciller les piqûres des moustiques aide à trouver la porte ?

 

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Le son du torrent est triple : la première note est grave et lointaine comme le souffle d’un didgeridoo, la seconde claire, proche, tout juste un peu voilée comme une flûte de pan, et la troisième est un sifflement aigu dont on pressent qu’il pourrait entrouvrir la porte. 

 

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Que le soleil s’assombrisse : vois quelle détresse fissure aussitôt l’indifférence de la forêt, entends la plainte qui semble monter du torrent maigre, de l’arbre mort. Tu sens que les hêtres attendent, que la limace attend, que le torrent attend, que la chienne qui te regarde avec cet air de bonté qu’elle a toujours attend, que quelque chose tapi en toi attend aussi. 

 

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L’enfant fronce les sourcils ; pour mieux viser quoi ? 

 

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Puis la porte tombe et tu glisses dans un poème en forme d’entonnoir. Tu déchiffres tant bien que mal les signes mouvants tracés par les ombres sur cette stèle verdâtre. Tu voudrais prendre note, tu commences enfin le travail…

Mais ces mots-là sont si peu engageants, si peu conformes à ce que tu attendais et pour tout dire si navrants, que tu te détournes et repars au plus vite, bredouille, bredouillant, presque affolé, comme on referme un livre sitôt la première page lue, non par déception mais parce qu’on est en larmes et qu’on ne peut pas aller plus loin. 

 

*

 

Ce livre, ce poème : rien d’autre qu’une tombe.

 

 

8 juillet 2012 

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