Vigie, juillet 2012

 

 

 

 

LE TESTAMENT DE L’ÉTÉ

 

 

Les morts vivent le long des mots.

Encore près de ceux où ils sont morts,

et pas encore dans ceux où il y a des plages

où tout est dit en mouvement.

 

Fernando Echevarría

 

 

Depuis que les barrières ont cédé

tout cède tout n’en finit pas de céder

et l’on s’étonne d’être toujours debout

comme l’unique colonne de quelque ruine antique

après un tremblement de terre.

 

Il suffit parfois d’une phrase

d’une image

d’un éclat

du grondement de l’orage

à l’horizon de cet été instable

et tout cède à nouveau

s’effondre 

et circule

dans l’invraisemblable

évidence

de ce mouvement consenti

devenu comme une danse

dégingandée titubante

dans l’étonnement d’être

la foudre sur les crêtes

les traces dans le ciel et ces 

ombres portées sur la page 

en laquelle

on tombe 

interminablement

en deux dimensions

au long de cet été où sans doute

quelque chose

n’en finit pas de finir

ressassant

s’exténuant

recommençant

cette pulsation

qu’on sent qu’on tente de suivre 

qu’on a peine à suivre

tant est lente l’écriture 

et rapide 

le tempo du temps

c’est donc vrai qu’il ne faudrait

que des cris ou que des traits

rien que des traits

comme chez Michaux, Dotremont

une écriture insensée

pour danser

pour chuter

et c’est peu dire alors

qu’on est loin de la littérature

à moins d’entendre en ce mot

un synonyme hésitant

de « vie » cet « en vie »

au sein duquel s’abolissent

le but

le début

la fin

écrire alors

non pour ne pas mourir

mais pour ne pas en finir 

de naître et mourir

pour répondre 

à cette clameur en soi

de la vie et de la mort

(changer ici de cartouche

quelle interruption misérable)

écrire sans boiter

sans béquille

sans garde-fou

sans limite

sans repentirs

écrire comme joue l’enfant

par un très long soir d’été

quand il pressent que le jeu

doit finir

et redouble alors de rire

et redouble alors de cris

et redouble alors de joie

et redouble de paroles

comme quand l’éclat de rire

se mue en ces larmes

qui voilent le regard du vieil homme

qui se revoit ainsi jouer

sur une plage presque effacée

et qui murmure en tendant 

sa main tavelée

où es-tu

où 

est-ce

que

je 

suis

qu’est-ce que

où quoi et

je dicte

écoute

prends en note

écoute bien car

bientôt je ne pourrai plus

ce sont mes derniers

ne me laisse 

quand je n’y serai 

plus tu sais je serai 

là encore

près de toi

dans ces mots tracés

ici pour toi juste 

pour toi

il te suffira 

de rouvrir le livre

frais tombeau d’un jeune mort 

dont l’ombre tenace

bougera encore si tu me lis

et lors nous serons 

reliés encore

ne m’abandonne pas

au mutisme sans écho

laisse résonner ces mots

les derniers de 

ce testament de l’été

je t’aime et je te soutiens

je reste près de toi, passeur 

qui t’aide à traverser ta rivière

je reste avec toi jusqu’à 

la rive de nos derniers souffles

au-delà

de toi

de moi

car le temps n’existe pas 

pour qui se jette ainsi

de la falaise 

et tournoyant sur la page

répète par mille voix

de mille générations d’enfants 

 

« nous jouerons 

ensemble

nous allons bien

nous amuser

nous allons… »

 

10 juillet 2012 

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