LE TESTAMENT DE L’ÉTÉ
Les morts vivent le long des mots.
Encore près de ceux où ils sont morts,
et pas encore dans ceux où il y a des plages
où tout est dit en mouvement.
Fernando Echevarría
Depuis que les barrières ont cédé
tout cède tout n’en finit pas de céder
et l’on s’étonne d’être toujours debout
comme l’unique colonne de quelque ruine antique
après un tremblement de terre.
Il suffit parfois d’une phrase
d’une image
d’un éclat
du grondement de l’orage
à l’horizon de cet été instable
et tout cède à nouveau
s’effondre
et circule
dans l’invraisemblable
évidence
de ce mouvement consenti
devenu comme une danse
dégingandée titubante
dans l’étonnement d’être
la foudre sur les crêtes
les traces dans le ciel et ces
ombres portées sur la page
en laquelle
on tombe
interminablement
en deux dimensions
au long de cet été où sans doute
quelque chose
n’en finit pas de finir
ressassant
s’exténuant
recommençant
cette pulsation
qu’on sent qu’on tente de suivre
qu’on a peine à suivre
tant est lente l’écriture
et rapide
le tempo du temps
c’est donc vrai qu’il ne faudrait
que des cris ou que des traits
rien que des traits
comme chez Michaux, Dotremont
une écriture insensée
pour danser
pour chuter
et c’est peu dire alors
qu’on est loin de la littérature
à moins d’entendre en ce mot
un synonyme hésitant
de « vie » cet « en vie »
au sein duquel s’abolissent
le but
le début
la fin
écrire alors
non pour ne pas mourir
mais pour ne pas en finir
de naître et mourir
pour répondre
à cette clameur en soi
de la vie et de la mort
(changer ici de cartouche
quelle interruption misérable)
écrire sans boiter
sans béquille
sans garde-fou
sans limite
sans repentirs
écrire comme joue l’enfant
par un très long soir d’été
quand il pressent que le jeu
doit finir
et redouble alors de rire
et redouble alors de cris
et redouble alors de joie
et redouble de paroles
comme quand l’éclat de rire
se mue en ces larmes
qui voilent le regard du vieil homme
qui se revoit ainsi jouer
sur une plage presque effacée
et qui murmure en tendant
sa main tavelée
où es-tu
où
est-ce
que
je
suis
qu’est-ce que
où quoi et
je dicte
écoute
prends en note
écoute bien car
bientôt je ne pourrai plus
ce sont mes derniers
ne me laisse
quand je n’y serai
plus tu sais je serai
là encore
près de toi
dans ces mots tracés
ici pour toi juste
pour toi
il te suffira
de rouvrir le livre
frais tombeau d’un jeune mort
dont l’ombre tenace
bougera encore si tu me lis
et lors nous serons
reliés encore
ne m’abandonne pas
au mutisme sans écho
laisse résonner ces mots
les derniers de
ce testament de l’été
je t’aime et je te soutiens
je reste près de toi, passeur
qui t’aide à traverser ta rivière
je reste avec toi jusqu’à
la rive de nos derniers souffles
au-delà
de toi
de moi
car le temps n’existe pas
pour qui se jette ainsi
de la falaise
et tournoyant sur la page
répète par mille voix
de mille générations d’enfants
« nous jouerons
ensemble
nous allons bien
nous amuser
nous allons… »
10 juillet 2012